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26 mai 2007

NOUVELLE N°16

L'horloge de la cathédrale sonnait les deux coups du matin. D'ordinaire, j'appréciais cet entre deux temps, où la nuit s'éclaircissait imperceptiblement pour laisser place à la nouvelle aube. La nuit tout change, odeurs, couleurs, attitudes, et même les gens. Ils se croisent le nez au vent. Plutôt qu'en berne.  Ils sont nettement différents de ceux rencontrés la journée, bougons, oppressés par le travail. Ah ! Si le soleil ne se levait pas ! Ce soir, je fais comme tous les soirs, je cherche la quiétude ; la face cachée de ma cité, la vérité sur elle. J'arpente les petites ruelles inconnues des touristes. Ma ville m'appartient comme une maîtresse et je la vis comme une passion. Que Strasbourg est belle la nuit ! D'accord, elle ne possède ni la tour Effel, ni l'arc de triomphe, ce n'est qu'une provinciale, que quelque uns - ignorants ! - fourguent sans vergogne à l'Allemagne à cause de son histoire déchirée. Et c'est vrai qu'elle a deux coeurs ! Moi aussi, ces habitants aussi. Elle n'est pas célèbre, ne résume pas le pays à elle seule aux yeux des plus riches nations, n'a pas – encore - de Zénith où contenir sa foule stressée, mais pour tout l'or  d'Arabie, je ne voudrais vivre ailleurs. Petite France, quai des bateliers, quartier des 15 et cetera. Vieille rive en face du fleuve, le Rhin, vieille patrie charmante, vieilles pierres qui parlent. Un patois germanique qui se crache, agressif, tel ses racines mais prononcé avec la ferveur et l'attachement français. Une identité propre et fière. Je flâne, je l'hume, je l'aime. Je suis peintre écrivain de profession. Spécialisé en patrimoine régional, le mien évidemment. Je suis très chauvin, soupirant, absolument ! Je suis certain déjà, je ne rentrerai pas à ce lendemain annoncé. A cette heure, il n'y a plus affluence, sauf quelques âmes égarées, avide des sensations mirifiques du silence, où simplement noctambules bohèmes à mon image. Mon langage, mes manières de romantiques désoeuvré sont indubitablement désuets. Certains méchants diraient probablement éculées, néanmoins, je suis ce que l'on peut appeler dans la rigueur moderne, un homme heureux. Je n'ai pas perdu le sens de l'essentiel, cela me suffit. Célibataire endurci, je n'ai pas l'habitude des femmes. Ca sent le pot pourri et les ordures chez moi, mais celle qui me  réchauffe parfois m'assure ; Ca sent bon. J'habite la Robertsau, une campagne urbaine, avec un parc immense tout prés. J'ai des cérémonials de vieux garçon qui la font rire. Je ressemble à Strasbourg : mûr, malgré cela, dynamique, séduisant. Les dames ne sont-elles pas sensible au rire ? Elle m'a promis de frapper à ma porte lorsque la matinée serait plus avancée. Elle dort beaucoup. C'est moi l'anormal, s'amuse-t-elle, à l'inspection de mon regard cerné. On ne me changera plus. Je badaude, à écouter, écouter toujours les murmures inaudibles remontés du passé, des légendes, alsaciennes, secrets de mamie, héritage précieusement transmis. La réalité est loin, fort loin, suspendue entre mes fantasmes et moi. J'existe.
On me bouscule. Quelqu'un court, hors d'haleine pour échapper à je ne sais quoi, je ne sais qui. Malpoli ; en proie au danger. Bête, bête traqué. La police ? Non, il est trop honnête. Le choc à l'épaule fut extrêmement rapide, cependant je pus le voir. Pas un criminel. Il n'y a que peu d'être humains véritablement assassins dessus cette planète. Il n'en fait pas parti. Un tueur, un voleur, cultive un patrimoine génétique tatoué en son visage ses yeux. Ses prunelles à lui ne se dissimulent pas. Leur émoi, leur panique, leur terreur restent monstrueusement apparentes. Il est fichu. Il en est sûr, je m'en doute. J'entends des voix. Celles de ces poursuivants, vulgaires, tonitruantes, impardonnables  de troubler une sérénité si durement acquise, sitôt remise en cause, arrachées aux griffes monotones du quotidien. Sous l'effet de l'hébétement et de l'abattement, nous nous figeons tous les deux, lui le pourchassé, moi le dilettante, l'un en face de l'autre. A une époque, il avait dû me correspondre, car je ressens une étrange alchimie entre nous. Est-ce mon frère de goût ? Comment se nomme-t-il ? Quel âge a-t-il ? Comment en est-il arrivé là ? Pourquoi y a-t-il un trou dans sa veste ? ... Quelle question idiote celle-ci ! Cet incident me ramène sur terre. Il n'y a pas de meilleur moment pour les questions stupides. Après, il sera inutile d'en poser. Ses poursuivants approchent... ils sont à notre hauteur. S'engage un dialogue ahurissant :
Rends nous not' butin raclure ! J'déteste me faire doublé !
Un pistolet à la main un des trois hommes menace la personne. Un autre intervient :
Allons, allons, Raphaël (Raphaël ?! Le prénom des justes à ce genre de type ?! Oh non; je rêve !), ne soit pas tant grossier. Nettoie ta langue, sinon je te tue en même temps que lui d'accord ?
Son acolyte, penaud :
Oui patron...
Reprenons d'une manière plus civilisée voulez-vous ? Restituez nous l'objet s'il vous plaît monsieur, c'est votre intérêt. Je hais la sauvagerie. Je préfère le travail propre. Contrairement à mes associés, qui eux, à mon grand damne, se délectent facilement à torturer un pauvre bougre. Obtempérez, un conseil.
Il récite sa tirade avec calme, élégance, d'un ton raffiné, tout droit sorti d'un siècle ancien, presque précieux, alors que leur victime est solidement rivée au mur derrière nous par une poigne à la mine patibulaire. Complètement décalé ! On se croirait personnage d'un film de gangster à petit budget ! Nul, vraiment nul... Qu'est-ce que je fabrique encore là moi ? Mon instinct crie « sauve ta peau, enfin ! Ces gars sont malades ! » Je deviens aussi grossiers qu'eux. Ah non ! Tout sauf ça ! Tais-toi, tais-toi, tais-toi...         
Comptes y et bois de la flotte. Ouïs-je répliquer l'individu harcelé.
Je suis éberlué ! « Quoi espèce d'imbécile ! Tu souhaites mourir ?! Moi pas ! Ils exécuteront les témoins. Obéis leur ! » Pensais-je, à un doigt de la syncope. Peut-être vaudrait-il mieux succomber maintenant à un crise cardiaque ?
J'te l'ai dit, avec ça j'pourrai récupérer mon épouse, elle s'est barrée par'ce que j'suis pas millionnaire. Elle veux le plus beau, avec le diamant, je s'rai milliardaire !
C'est donc ça ! Je sais mieux que jamais ma motivation à ne jamais me marier ! Cet homme incarne tout ce qui me rebute à ce propos : couardise, avilissement, dépouillement... Vive le célibat ! J'abhorre les filles et leur désinvolture ignoble de tout mon âme. Le troisième larron se bidonne grassement.
Tu crois qu'ta gonzesse elle se traînera un minable aux basques si tu lui donnes tes milliards ? Elle te les siffleras et elle se tapera un vrai mec aux Bahamas avec ouais ! Elle s'en fous d'toi connard ! Quel con ! Ha ha !
De bref hoquets fussent à intervalles réguliers ... Il pleure ! Ce gamin pleure ! Son tortionnaire a raison. Quel abruti celui-là ! Je commence à comprendre ; une banalité, scénario classique, limite stéréotypé de la bonne poire manipulée, puis trompée. Bof, pas de quoi vous exciter un mort. Je ne le connais pas, mais il m'inspire pitié. J'assiste à la scène médusé. Et à cet instant précis, je fais quelque chose de fou, d'insensé ; j'ouvre la bouche, les mots se détachent :
Excusez-moi messieurs ; puis-je bavarder avec votre prisonnier ? Il vous rétrocédera votre pierre.
Abasourdis, ils tournent tous la tête vers moi. Ils ne se sont pas aperçus de ma présence. Le chef me répond courtoisement, un sourire en coin.
Je vous en prie.
Arrêtez ce cirque, c'est trop tard. S'il vous plaît, il nous tiennent, l'unique moyen de nous en tirer, c'est la négociation. Ils nous occiront de toute façon, vous êtes à bout, soyez sage pour nous deux.
La ferme toi ! T'a rien à fiche dans c'bourbier ta geule, t'as pigé !
Il est à vif. Ulcéré, il n'en peut plus, il est en cage, sans issue. Mais c'est à ce moment que les rats sont le plus dangereux, une fois acculés. Il fait une chose totalement imprévue, il déplie un couteau de poche, qu'il projette dans ma direction. Par miracle je peux l'éviter. Un des bandits le reçoit en plein poitrail. Il hurle de douleur, le lâche. Colère, rage, écume. Nous fuyons à tout blinde. Mon agglomération ne me semble plus ni admirable ni bucolique. Je n'en perçois plus rien. Une nappe rouge me brouille la vue. Du sang. La lame m'a quand même blessé au passage. Je cours, nous courrons, ils courent, après nous. Je ne me soucie de plus rien d'autre.
Merci d'avoir créer une diversion mon pote ! C'était bien jouer !
«Son ami ?! Une diversion ?! Mon courage lui avait paru ainsi ?! » Service. Marmonne-je platement ironique.
On se sépare ici ! Bonne chance !
C'est le pompon ! Je n'ai pas le cran de rétorquer. Il bifurque. Je cours encore, constent, acharné, mes jours en dépendent. Quelle soirée ! Si j'en réchappe, je jure à n'importe quel Dieu de me convertir à la pantouflardise ! Je me changerai en casanier, promis !
Je dormirai, je ronflerai la nuit ! Accaparé par ma course et mes résolutions, je ne le remarque pas  immédiatement : ils ne me talonnent plus. Ils le chassent lui. Moi je ne suis que menu fretin ; sans importance, un hasard. Je cours, traversant la route sans discerner la voiture roulant trop vite.
Le heurt ne dure pas. Elle m'envoie valdaguer, l'occiput contre le bitume sale. Elle ne stoppe pas, ne freine pas. Elle m'écrase. Suis inconscient, n'est pas eu mal. Mes dernières idées furent pour Sandra,
ma copine de lit, puis...
« Merde, j'ai oublié la fenêtre ouverte ; la nouvelle sur mon bureau s'est assurément envolée. La s'intitulait...
Une nuitée meurtrière.
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