NOUVELLE N°8
T’in comme j’ai mal. Purée c’est fou, je
croyais qu’une fois mort on ne sentait plus rien. Mort ? Ai-je dis mort
? Comment ça, en fait ?
« Allez les gars, allez encore une fois ! Ne le lâchez pas ! Placez les électrodes… Manu, t’es prêt ? Un, deux, trois ! ».
C’est
bon les mecs, c’est bon avec vos électrochocs, ça secoue comme pas
possible, ça me fait mal, okey ? Et puis bon, c’est bon, j’suis finit
là. Je le sens, aucune idée à quoi je reconnais la mort mais je le
sais, c’est comme ça. Ah ! Ils l’ont remarqué aussi, Manu et compagnie.
De toute manière, un piéton fauché par un camion, faut avouer qu’il n’y
avait pas non plus beaucoup de change que je survive. Oh, ne faites pas
cette tête, c’est bon. C’est fou, c’est moi qui suis mort et c’est eux
qui tirent la tronche. C’est bon les mecs, c’est pas une grande perte
de toute manière, j’étais déjà finit avant, hein.
Il est quelle heure, en fait ? Hahaha, j’suis trop con. J’suis mort et j’me demande quel heure il est, j’suis trop con ! N’empêche, j’aimerais bien savoir. Il faudrait que quelqu’un informe l’avocat de mon absence. Ce n’est pas que l’avocat m’importe. Mais il y a Juliette, aussi. Et Juliette, désolé mais Juliette, on ne la fait pas attendre. Elle a beau être mon ex-femme, elle reste tout de même la femme la plus respectable que je connaisse. Et la plus canon aussi. Et la plus intelligente. Oh putain, ça me fait presque mal de savoir que j’vais pas pouvoir aller la voir. Pourtant je me suis dépêché, un peu trop peut être, sinon le camion m’aurait vu traverser la route. Eh, je dois être le seul homme qui profite du procès de son divorce pour aller voir sa femme.
C’est que
je l’aime encore, aussi. Purée. C’est ça, être mort ? Faire le bilan ?
Les bilans, ça n’a jamais été pour moi. Déjà au boulot, quand je devais
faire des rapports de ceci ou de cela, je demandais à Pierrot de les
faire pour moi. C’est juste con qu’il ait fallu en faire de plus en
plus et que ça a finit par se faire savoir. Bon, de toute manière,
Pierrot il s’en foutait, c’est le genre de gars qui était un intello au
lycée, tu sais, le genre casse couille. Moi je m’en tapais aussi, c’est
Juliette qui a flippé. Bon, c’est pas pour ça qu’elle a voulu divorcer.
Enfin, c’est aussi à cause de ça. Mais pas seulement. Non ! Juliette,
elle est trop classe pour divorcer juste pour une histoire d’incapacité
bilancière.
C’est qu’il y avait aussi cette toute petite histoire
d’alcool. C’est pas que je suis alcoolo, non ! Juif tant qu’à faire !
C’est juste que voilà, je suis français, j’aime le bon vin. Et pour les
bonnes choses, je ne compte pas. Je ne compte ni le prix ni le nombre
de bouteilles. Mais Juliette, elle ne comprend pas ça. Je lui ai
expliqué pourtant. Ce n’est pas qu’elle soit sotte ! C’est que
simplement que c’est une femme, je pense que c’est pour ça. Je ne suis
pas sexiste ni rien mais voilà, les femmes ne peuvent pas tout
comprendre. La femme de mon pote José par exemple, elle n’a pas pu
comprendre non plus que de s’amuser avec une jeune de temps en temps,
ce n’est pas tromper. C’est ça, les femmes. Elles sont plus
intelligentes que nous, les hommes, mais il y a des choses pour
lesquelles, vraiment, elles n’ont pas de compréhension.
Et puis
quand elle a appris que j’ai perdu toutes nos économies au casino, là
elle a vraiment perdu les pédales. Tout à coup elle m’a reproché tout
et surtout n’importe quoi. Qu’elle en avait marre de tout faire seule,
qu’après 5 ans de chômage elle ne comprenait pas que je ne cherche
toujours pas de travail, qu’elle voulait de nouveau vivre. Alors ça
surtout, je ne l’ai pas compris.
Et puis c’est allé vite, elle est
partie. J’aurais bien aimé la suivre, lui dire Juliette je t’aime,
reste, mais elle est allée chez sa mère et là franchement, je ne
pouvais pas la suivre.
Après 7 ans de mariage quand même, ça me crève le cœur. Surtout que Juliette, c’est vraiment la femme de ma vie.
Et là je suis mort. Pauvre con. Tu la verras plus, ta Juliette, ‘pourra même pas lui dire adieu, et puis je t’aime, et puis toutes ces choses là quoi. Tu vois, ma vie, elle est toute bossue mais si y a un truc que j’ai réussi, alors c’est ça, c’est d’épouser Juliette. D’un autre côté, ça m’arrange de crever. Ou d’être crevé, j’en suis plus à ça prêt, hein ! Comme ça, je n’aurais pas besoin de refaire ma vie. Sans elle, de toute manière, ça vaut pas le coup franchement, ça vaut pas le coup.